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Zoon Politikon 2012

1 avril 2012

Présentation

 « Il est nécessaire à un prince de bien savoir user de la bête et de l’homme. […] Il faut donc être renard pour connaître les pièges et lion pour effrayer les loups ».

Machiavel, Le Prince.

A quelques jours de l'échéance présidentielle, nous publions ces fables inoffensives, peignant sous une forme ludique la métamorphose animale des principaux candidats, ou ex-candidats, à l'élection. Pastiches du style classique, ces textes font résonner, à grands renforts de rugissements, d'aboiements et de piaillements, la cacophonie merveilleuse et sauvage du grand troupeau politicien. Strauss-kahn en singe, Villepin en aigle, Mélenchon en bouledogue, Hollande en limaçon, Bayrou en âne, Le Pen en lionne, Sarkozy en renard ou Joly en caméléon...

Chacun s'y voit traiter selon son vice, ses idéaux et ses travers.

"Je n'appelle pas gaieté ce qui excite le rire, écrivait La Fontaine, mais un certain charme, un air agréable qu'on peut donner à toute sorte de sujet, même les plus sérieux". Cette gaieté-là, à défaut du cynisme lucide qu'on pourrait naturellement éprouver, résume à merveille l'essence des textes qui vont suivre. Ils brossent, en quelques traits, une esquisse du jeu politique en s'arrêtant sur quelques grandes figures aisément reconnaissables...

Arouse

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1 avril 2012

Le Chimpanzé en rut

« LE CHIMPANZÉ EN RUT »1

 

Les premières perles de lumières éclataient çà et là dans la pâleur de l’aube, entre l’épaisse maille des feuillages et des filets de lianes patiemment tressées par la nuit. Un long voile de rosée s’étendait sur le sol fécondé par la pluie saisonnière. Au-dessus des marais s’élevait en douceur le bruissement des sangsues et le chant nasillard des moustiques à  l’singeaffût. Cela faisait des jours que la vie endeuillée par les caprices du temps se terrait dans les ombres rocheuses et humides de la jungle. Quand le soleil, enfin, sortit de son terrier, les forêts s’éveillèrent et le monde animal eut un regain de grâce. Les lions rugirent, les oiseaux s’égayèrent. Et la vie d’autrefois reprit en quelques heures son cours habituel. Chacun retrouva peu à peu sa place. L’aigle et le serpent chassèrent. Les rongeurs prirent la fuite.

A l’ombre d’un palmier dont le tronc séculaire se frottait aux nuages, un vieux singe aux habits élégants, chaudement couvert par une fourrure d’hermine, sommeillait sur un trône de pierre grise, nacrée de mousse émeraude et surmontée par d’immenses grappes de croissants d’or. Sage comme Saint-Louis dont il admirait l’équité, mais poussé, malgré lui, par de puissants instincts qu’il ne maîtrisait pas, ce haut dignitaire de la jungle nourrissait depuis peu la fiévreuse ambition d’un lion. Il voulait la couronne. Les trésors de l’Etat. Gloire, fortune, richesse !... A ses flancs généreux se pressait d’ailleurs une immense foule de partisans issus, tout comme lui, de la race mimétique des primates. Dans les rangs élargis de ses acclamateurs, on comptait non seulement ces frères anthropoïdes, mais encore de nombreuses communautés d’animaux déçus par la politique de leur temps : d’imposants pachydermes, des koalas naïfs, des ours convaincus et surtout, nageant dans le sillage d’un opportunisme affiché, sa garde rapprochée d’alligators et de caïmans, prête à tout pour porter son champion au sommet des honneurs. Mais comme tout conquérant dont la campagne annonce déjà la victoire éclatante, notre Hannibal se heurta à Capoue2,- et il devint Tarquin3…  Le chimpanzé en Rut nbChez lui, tendance était fâcheuse de convoiter les femmes de ses compagnons d’armes. L’insatiable bonhomme avait un appétit à la mesure de ses aspirations et, peinant à refreiner l’instinct qui lui dictait ses lois, il péchait par excès de ripailles et de chair. Notre Dom Juan simiesque voguait entre le vice et la finesse passée de ses mœurs libertines. Il eût pu, de sa seule puissance, infester les femelles de ces bois d’une épidémie ravageuse. Ce n’est plus de la peste, alors, que les animaux seraient morts !...

Un jour qu’il se baignait sur la rive déserte d’un lac, survint une guenon. Quelle idée, direz-vous, de s’approcher du mâle sans vouloir ses faveurs ! Ce fut pourtant le cas. Comment pouvait-il s’en douter ? Il ne s’en douta pas et se rua si vite sur la femelle hagarde qu’elle ne put résister à cet assaut viril. Il l’empoigne d’un coup, serrant entre ses griffes, contre sa grosse bedaine velue, la proie candide et frêle de son désir… Puis, aussitôt, il la réduit d’un geste à d’humiliantes postures. Il cherche à la forcer sans aucun ménagement. Elle refuse. Il la bat et l’emmène sauvagement dans l’ombre d’une caverne. Mais la guenon s’obstine. Saisi par de brutaux spasmes libidineux, l’hominidé cupiens4 tourne et retourne son butin. Il hésite. Commence devant, finit derrière, passe hâtivement de haut en bas. Et après moult et vains essais… voilà que la guenon lui échappe de justesse !... Il ne la poursuit pas et reste là, penaud, se contentant d’un modeste exutoire solitaire. Point de mea culpa chez ce prétendant au pouvoir. Ou alors si léger !5... Car la justice des animaux, plus plaisante en cela que notre institution procédurière, ne réfrène pas encore la poésie frénétique des instincts…

 

S’il était permis de tirer de la jungle une leçon, nous dirions humblement que la guenon ne doit pas sans méfiance s’approcher du grand singe et que le peuple, lui, est une guenon docile.

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1 La métaphore est d’une journaliste récemment propulsée sur le devant de la scène médiatico-judiciaire pour ces allégations contre un ancien ministre.

2 Après de nombreux succès militaires, en 215 avant JC, Hannibal aurait pu marcher sur Rome. Il préféra s’arrêter à Capoue, une ville du Sud de l’Italie, où ses soldats s’amollirent à force de plaisirs. L’expression  s’endormir dans les délices de Capoue  est restée dans le langage commun pour désigner la recherche du plaisir aux dépends de la victoire.

3 Il s’agit de Sextus Tarquin , fils du dernier roi de Rome, Tarquin le superbe (534-509). Jaloux et tyrannique, il est surtout connu pour le viol de Lucrèce. 

4 En latin, participe présent du verbe cupio : désirer. Ici, le mot est à relier à la « concupiscence ».

5 De fait, l’intéressé a reconnu lui-même, publiquement, une « faute morale ».

1 avril 2012

Le retour de l'empereur

LE RETOUR DE L’EMPEREUR

 

Eployant dans l’azur sa voilure argentée comme au travers d’un riche blason illuminé par les rais du soleil1, un aigle grisonnant, digne et superbe, paradait au-dessus des montagnes. Il volait seul. Loin des masses indistinctes de la gente animale. Il voguait dans les cieux comme un emblème antique. Majestueusement, il s’arrêtait parfois sur les cimes rocailleuses pour jeter sur le monde un œil vif et inquiet. Il avait dans la tête des projets de révolte, des idées salutaires pour préserver son peuple. L’aigle impérial, d’un vol prudent, revenait d’Elbe où il avait passé le temps de son exil. Et il s’imaginait dans de glorieuses postures, applaudi, honoré, croulant sol'aigleus la clameur de ses thuriféraires. Il se voyait déjà comme une icône biblique terrassant le serpent2. Rassemblant ses hussards, shako à huppes, en vue de conquérir les foules. Pour la première fois l’aigle levait la tête et fixait la victoire. Elle était là. Non, elle était loin, mais presque, à quelques mètres… à quelques voix… « Encore un effort, Français ! »3... criait-il à ses troupes. Car l’ennemi demeurait.

En butte aux viles attaques qu’une armée de rapaces dirigeaient contre lui, l’oiseau de Jupiter résistait à grand peine. Les amis du tyran avaient juré sa perte. On l’avait calomnié, sali, persiflé à outrance. Mais lui dédaignait noblement ces assauts de bassesse. Une nuit, des sbires avaient tenté de le noyer dans un courant limpide4, comme le disent les Anglais. Pourtant n’était-ce pas lui qui, le premier, avait voulu se frotter à l’eau clair ? Il avait survécu. L’empereur déchu, aussi léger qu’une mouette et puissant qu’un requin5, avait aussitôt décidé de lever une armée pour faire pièce aux coupables. Il invoqua les cieux, la justice et les morts ! Condamnant comme un preux les excès du pouvoir. Entre lui et le prince naquit alors une haine éternelle. Plusieurs oiseaux, timidement, s’engagèrent dans son camp. Quelques cailles, des canards, une cohorte intrépide de dindons et enfin des pintades. Il leva une légion et fut officiellement sacré empereur des basse-cours. Bien sûr, ce n’était qu’un début. Fort de ses nouvelles troupes, il osa s’insurger, hurlant comme une trompette épique contre les vrais problèmes du pays ravagé. Au palais, on commença à craindre l’ambition obstinée de cet aigle à bicorne. Le vautour le raillait, mais craignait son prestige. Alors l’aigle eut confiance et devint héroïque. Il vit plus grand que la basse-cour et rêva d’ascension. On l’entendit partout. Battre des ailes à la tribune comme un patricien de vieille souche. Il grondait comme un lion contre la corruption des larrons au pouvoir. Alors il déchaîna leurs foudres inextinguibles !... Ils redoublèrent de rage et conspirèrent encore, toujours, pour briser son élan. On l’accusait de conjurer ! Lui, l’Aquila Catilina6, aussi pur que de l’eau cristalline. Il s’indignait ainsi à la face du monde : « Ah ribauds ! Ah  salauds ! Ah complot ! L’outre est pleine, comme une onde qui boue dans une urne malsaine ! 7… Les cafards me poursuivent ». Sans cesse il agitait son auguste plumage pour s’en débarrasser.

A force de méfiance, l’aigle eut bientôt deux têtes pour scruter tous les fronts desquels on l’assaillait. Il fixait conjointement l’Occident et l’Orient comme un glorieux symbole8. Mais sa voix s’altéra. Sa bouche de gauche alléguait désormais le contraire absolu de ce qu’avaient affirmé ses lèvres de droite. Il disait tout et son contraire. Tantôt conservateur et tantôt libéral. Mi-aigle, mi-fourmi. Ambitieux et timide, courageux et craintif. Enfin l’aigle à deux têtes causa sa propre perte. Les canards n’eurent plus foi... Les pintades s’éloignèrent et les dindons firent sécession. Mais l’empereur, trop occupé de ses propres discours, volait déjà vers d’autres cieux...

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1 L’azur, l’argent et l’or du soleil font peut-être allusion aux couleurs héraldiques de la personne visée : d’azur à une fasce d’or accompagné de trois écussons d’argent.

2 Ce passage renvoie à l’iconographie chrétienne et notamment à l’aigle de Saint-Jean.

3 Citation approximative et partielle du marquis de Sade : « Français, encore un effort si vous voulez être républicain », dans La Philosophie dans le boudoir

4 Référence à une célèbre affaire politico-financière des années 2000.

5 Ces deux motifs métaphorisent l’union de la force et de la légèreté qui caractérise l’aigle. On les retrouve parfois comme symbole politique, cf. Dominique de Villepin, Le requin et la mouette, Paris, Plon, 2004.

6 Catilina, homme politique romain du Ier siècle avant JC, conspirateur connu pour ses tentatives de renversement du Sénat. Les sources nous ont principalement été léguées par Cicéron et Salluste, cf. Les Catilinaires et La Conjuration de Catilina.

7 Déformation d’un vers de V. Hugo, dans L’Expiation : « Waterloo ! Waterloo ! Waterloo ! Morne plaine… ».

8 L’aigle bicéphale est un symbole héraldique emprunté par plusieurs dynasties royales et impériales. Il ornait par ailleurs certains drapeaux romains.

1 avril 2012

Le mâtin des lendemains qui chantent

LE MÂTIN DES LENDEMAINS QUI CHANTENT

 

Sous un soleil de plomb arrosant les tribunes de l’arène poussiéreuse, un molosse enragé, fixant son auditoire de sa pupille en flammes, agitait ses babines en se frottant la truffe. Sa grande queue frétillante balayait à grands traits le sol aride et blanc qui lui servait de scène. Et tout autour, dans la mêlée en liesse, flottait la nuée rouge des étendards acclamant sa venue. Pour les moins avertis, une pancarte clouée sur la haute grille du Colisée faisait office d’alerte : Cave Canem !chien N’en déplaise au badaud insouciant qui flânerait dans les alentours. Gare à sa bourse !... Ici, la curée s’organise. Sa vie est en danger s’il a trop d’argent.

Tenant entre ses crocs un vieux couteau rouillé1, le mâtin aboyait contre le capital et ses odieux suppôts. Orateur de talent, cet animal de comédie, meilleur ami de l’Humanité2 si l’on en croit nos mœurs, avait quitté sa meute pour fonder son parti. Autour de lui, pour le grand soir, la race canine s’était juré de poursuivre la lutte. Les boxers se mordillaient nerveusement la moustache à l’idée savoureuse de manger du bourgeois aux prochaines élections, les braques aiguisaient soigneusement leur griffe pour les planter avec adresse dans le cou des plus riches. « Comme en 89 ! grognaient les dobermans assoiffés de bonne chair ! Du balai ! Ouste ! De l’air !3 Tous à la guillotine ! ». La voix du harangueur reprenait mot à mot l’ultimatum acharné de la foule. L’œil farouche, la bouche hargneuse et le poil soigneusement brossé de part et d’autre de son front haineux, il invitait l’audience à une guerre sans merci. « Qu'ils s'en aillent tous !4 hurla-t-il subitement dans un long glapissement de révolte (mais de révolte citoyenne). Avec leurs valises de billets !... Et leur scandales aux fesses qui collent comme de la morve ». L'inflexible molosse a le génie des mots, claquant dans l'air comme les pétards mouillés de tonton Ravachol5 !... La corruption l'enrage autant que le caviar... Ses yeux se plissent, ses lèvres se contractent, secouées de spasmes terrifiants. Sa face hideusement convulsée se noie soudain dans un torrent de bave infecte.

Il a besoin de mordre !... Alors, très dignement, avec la force herculéenne d'un Stakhanov de foire, le cou serré par sa cravate de sénateur, il lève bien haut son poing en signe de menace. Le patronat porcin éveille en lui d’abondantes coulées de salive. Il réduira les salaires abusifs de ces cochons sans honte et, pour les plus réticents, il affiche ostensiblement la sanglante ambition d'en faire du saucisson à grand coup de faucille. Le bouledogue ne rit pas. Même la clameur du peuple le laisse froid et tranquille. Ses grandes oreilles frémissent sous la caresse flatteuse de la claque officielle des Bolcheviks déçus. Mais rien de plus. Ses babines se redressent à peine. Il continue fièrement ses bouillantes philippiques. Pour plus d’égalité, plus de justice et plus d’Etat entre les animaux bafoués par le lucre indécent des deux cents troupeaux6 et de leurs appendices. Enlevez lui l’immonde muselière médiatique, dont sa paranoïa dénonce l’omniprésence, et vous verrez surgir un Robespierre de carnaval, engoncé dans son col de lin blanc, grognant, râlant, sifflant, prêt à pousser des aboiements rocailleux contre le Léviathan capitaliste. C’est à peu près son seul credo, à cet antichrétien !7 Son unique évangile et son os à ronger. Croyant que la censure, c’est bien connu, ne cherche à bâillonner sa grande gueule de Républicain-défenseur-de-la-classe-ouvrière, le bouledogue fustige violemment ces salauds8 de caniches et bichons sans honneur léchant complaisamment les pattes du roquet aux oreilles pointues. En somme, il fait du bruit. Il gesticule, s’agite, montre les crocs. Mais quoi qu’en disent ses soupirants désireux de détruire avec lui les niches fiscales des lévriers, le chien aboie toujours et les présidents passent…

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1 On pense naturellement à l’image traditionnelle de « l’homme au couteau entre les dents », popularisée lors des élections 1919 par l’affiche d’Adrien Barrère.

2 Le texte détourne deux périphrases usuelles pour désigner le chien : « animal de compagnie » et « meilleur ami de l’homme ». Or il s’avère que l’animal en question est un habitué de la « fête de l’Huma ».

3 Sic. Voire infra.

4 Titre d’un essai publié chez Flammarion en octobre 2010.

5 Anarchiste, certes, ce personnage n’en eut pas moins une pensée qui rappelle, toute proportion gardée, celle du bouledogue révolutionnaire. Rappelons, à titre d’anecdote, que Ravachol monta sur l’échafaud en chantonnant un texte du père Duchesne : « Si tu veux être heureux […]/Pends ton propriétaire/Coup’ les curés en deux ».

6 L’allusion renvoie certainement à la synarchie des deux-cents familles accusées, sous la IIIe République, de contrôler la banque, l’industrie, la presse et la sphère politique. Il faut croire que la hantise d’une conspiration familiale, ou d’un complot de classe, continue d’alimenter une certaine idéologie populiste.

7 Dans un débat en compagnie de Jacques Julliard, « Le peuple a-t-il toujours raison », il n’hésite pas à dénoncer « la tyrannie chrétienne »,

8 Plusieurs témoignages donnent à voir l’extrême virulence avec laquelle l’intéressé s’en prend aux journalistes. En 2009, il qualifia successivement de « salaud », puis de « larbin », l’un des présentateurs du journal de 20 heures.

1 avril 2012

La revanche du limaçon

LA REVANCHE DU LIMAÇON

 

 

Sous l’éclat du tonnerre annonçant l’arrivée des pluies battantes d’automne, les bêtes, en toute hâte, s’étaient réfugiées à l’abri de l’orage. La forêt fourmillait du mouvement agité des foules. Chaque animal, craignant que la foudre insensée ne s’abatte sur les siens, cherchait éperdument un asile où loger sa famille. On courait, bondissait, détalait, cavalait. Chacun selon son rythme, ou selon sa frayeur. Des troupeaux de nuages envahissaient le ciel qui s’enflait, s’étirait, se gonflait comme une outre pleine d’eau prête à crever d’un coup. Pris soudainement d’une fièvre collective, les oiseaux s’affolèrent, volant dans tous les sens commefestina lente une escadrille en déroute. Où aller ? Comment fuir ?

Des renards s’insinuaient clandestinement dans le terrier des lièvres. Et des lapins élisaient domicile dans la hutte des castors... La tempête avançait, telle la crise monstrueuse, bouleversant les usages coutumiers du bois. Un grondement de trompettes précéda le déluge. Alors, dans ce décor d’apocalypse effrayant les plus audacieux, un limaçon, glissant sinueusement sur une brindille humide, brava courageusement le déchaînement des cieux. Il avançait, stoïque,  déversant derrière lui une longue coulée de bave comme une virtuelle trainée d’écume sur des pierreries1. Surmonté d’une modeste coquille, son ventre flasque et grassouillet semblait ramper vers un destin tranquille2. Il avançait, imperturbable... Quand tous les autres avaient fui la forêt dans l’antre des terriers, il était seul, face au chaos, à résister contre les vents mauvais. Le trône était vacant. Le roi l’avait quitté. Qui pouvait l’empêcher de s’emparer du sceptre ? Dans sa tête s’agitèrent d’anciens rêves de conquête. Il y pensait depuis longtemps comme un fantasme rare, une idée chaude et douce dont on rêve en secret pour se chauffer l’hiver. Gouverner son pays. Certains riraient peut-être, bêtement, de voir un escargot aspirer au pouvoir. Il subirait sans doute la mesquinerie jalouse de ses rivaux, les quolibets faciles sur sa taille, sa substance, sa mollesse. le limaçonEh quoi ? Fallait-il écouter la critique insensée des fats. Assurément, il fallait plaire, séduire les foules. Et ni ses sécrétions, ni les mucosités de sa chaire froide et gluante ne jouaient en sa faveur. Il entreprit alors de soigner son image. Mue formidable ! Changement de ton, de voix, de style. Il maigrit, recoiffa ses antennes, fit cirer sa coquille et se couvrit des plus charmantes parures. Enfin, il s’élança vers le triomphe. Mais la concurrence était rude. Même au sein de son camp. S’il voulait piloter la nation malgré sa légendaire lenteur, il lui fallait d’abord supprimer les  gêneurs. Il se heurta d’abord aux prétentions inopinées d’un coquelet plein d’avenir qui, las des graines importées dans un contexte de mondialisation croissante, voulait changer de régime pour picorer français. Un peu plus loin, un blaireau sympathique, et blairiste à ses heures, rêvait d’une France plus vraie, plus saine, plus sûre. Dans leurs débats soporifiques s’invitait également la voix chantante et sucrée d’une cigale proposant d’incompréhensible mesure. Mais son accent parlait pour elle. En sus de ses trois prétendants, le limaçon affrontait l’inlassable pugnacité de deux femelles tenaces. La première, une poule forte et dodue, caquetait en agitant furieusement sa crête purpurine. La seconde, une longue sauterelle autrefois acclamée, ambitionnait de porter son sexe au sommet des honneurs. Aussi fine qu’il était flasque, et sèche qu’il était mou, elle avait pour le limaçon des sentiments mêlés d’amour, de rage et de dégoût. Oui, ils s’étaient aimés. Il y a longtemps. Hors de l’orage qui planait aujourd’hui dans l’air comme une lourde menace. L’heure n’était plus à la passion. On s’envoyait des piques, des mots durs, et pourtant on s’aimait ! Mais c’était l’heure des choix3. Le limaçon n’avait de temps ni pour le badinage ni pour l’apitoiement. D’un seul revers d’antennes, il balaya les autres et devint pour son camp l’être providentiel. Prescience et lenteur d’antan, déclarait-il à ses fidèles, font mieux que force ni que rage. Il se flattait d’avoir perçu avant les autres ce que le peuple désirait et affirmait que ni l’excitation du taon, ni la morgue des lièvres ne permettaient de guider un pays. Digérant fièrement ses succès, l’audacieux gastéropode perdit peu à peu l’humilité bien connue de ses pairs ; il vit plus grand que ses antennes et sa gourmandise rejaillit malgré lui. Affamé de changement, il décida de taxer au trois quart les plus riches du royaume si bien que la dîme médiévale parût bien dérisoire à la lumière de ce nouvel impôt.

Allant toujours son train de sénateur, il fit graver sur sa coquille un sage précepte des premiers temps : Festina lente4. Le mot avait pour lui les accents et l’emphase d’une doctrine. Car c’était là tout son programme, à ce conquérant circonspect !...

 

P.S : Ainsi paré pour aller jusqu’au sacre, à Reims5 bien sûr, Tardif6 reprit la route avec son illustre prudence.

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1 Cf. Mallarmé : « [Les mots] s’allument de reflets réciproques comme une virtuelle traînée de feux sur des pierreries », in Divagation, « La crise de vers ». L’allusion poétique met en exergue l’apparition lumineuse et quasi-héroïque du limaçon.

2 Titre d’un ouvrage biographique publié chez Plon en 2001.

3 Référence à un essai paru en 1991.

4 Locution latine signifiant « Hâte-toi lentement ». Suétone attribue cette phrase à l’empereur Auguste.

5  Ce lieu est symbolique à plus d’un titre. Il fut, durant des siècles, la ville des sacres royaux. Plus récemment, il s’y déroula un mémorable congrès politique.

6 Nom donné au limaçon dans Le Roman de Renart.

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1 avril 2012

Le vert caméléon dans son jardin d'Eden

LE VERT CAMÉLÉON DANS SON JARDIN D’EDEN


 

Foulant à petits pas le sable froid des plages septentrionales, la reine Caméléon toisait d’un regard attendri les Fjords de son enfance. Paradis aujourd’hui menacé par la main destructrice de l’homme, cette nature éveilla dans son âme la douce nostalgie des premières heures. Lorsque toute herbe verte nous fut donnée pour nourriture1. Et comme avant, lorsque la jolie Eve gambadait nue dans les allées du parc, les arbres frissonnaient sous la caresse aimable du zéphyr. Le serpent sommeillacameleonit. Les mouettes voltigeaient en piaillant à l’ombre des nuages. Tout paraissait si calme dans ce monde harmonieux où les manchots s’amusent dès le soleil levant2. Elle étira lentement sa peau verte et visqueuse sur le bois sec d’un arbre. Ce fut comme une apparition. Sa vocation naquit au contact des flots irrigant la verdure des forêts alentours. L’orbe clair de ses yeux, cerclés d’un rouge étrange et venimeux, scrutait fixement l’horizon. Dans le murmure des vagues, elle entendit soudain les prières suppliantes de la nature, qui l’invoquait contre l’égoïsme bestial des grands de ce monde. Avec l’ardeur zélée d’un magistrat incorruptible, le lézard polychrome décida de punir vertement les coupables, en leur administrant une volée de bois vert. Mais oui, le vert !… Couleur universelle ! C’était là le secret de l’éternelle jeunesse et du triomphe ultime. La pierre philosophale ! Elle se mit subitement à voir la vie en vert : la France, l’Europe, le monde. Toutes les contrées brillaient aux reflets de l’émeraude ou de la malachite.

Ses yeux proéminents s’illuminèrent d’une lueur écarlate et sa crête jaune se hissa souverainement en signe d’euphorie. Il fallait commencer à réunir des troupes. La femelle du reptile fut aussitôt suivie par son clan familial. Peuple caméléon, peuple singe du maître3. La reine eut bientôt fait de réunir les siens derrière sa robe d’écailles. Mais il en fallait plus pour sauver la nature. Telle une antique pythie la bouche pleine de laurier, elle annonça partout les désastres à venir : marées d’eau noire sur les rivages, vie sans lumière, bois enfumés par des nuées toxiques de pesticides… 2012 et l’apocalypse !.... Elle était le recours.

-« Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches »4, dit-elle d’une voix sincèrement bouleversante. Ses petites griffes pointèrent le paysage meurtri. Voici la mer, le sable et les nuages. Ils ont besoin de nous ! »… Ce furent ses propres mots.

Elle fit tant et si bien que ses chuintements plaintifs envoutèrent tour à tour goélands, manchots, frégates, mouettes et pélicans… Puis Dame Reptile visa directement les mollusques marins. N’étaient-ils pas, d’ailleurs, les premiers concernés par le déclin rapide des littoraux français ?  Décrochant de la roche leurs valves paresseuses, les bigorneaux furent les premiers à rallier la cause verte. Vinrent les huîtres et les moules. Le tout pieusement béni par l’ordre  maritime des coquilles Saint-Jacques. Après avoir éclipsé un bulot encombrant, qui prétendait prendre les rênes de cette grandiose et verdoyante révolution, la téméraire femelle se déclara prête à régner sur la gent animale. Elle décréta le vert couleur unique et officielle de son futur royaume. Elle fit créer pour le pays un blason de sinople5, à trois étoiles d’or, orné d’un bel adage inspiré des anciens : Sequi naturam6. En somme, sur le papier, il ne lui manquait plus qu’un accord de principe du suffrage populaire. Mais comment l’aurait-elle ? Les arbres ne votent pas.

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1 Cf. La Genèse, I, 30.

2 Citation partielle d’un célèbre tube de Michel Berger : « Le Paradis blanc », 1990. In extenso, le refrain donne : « Je m’en irai dormir dans le paradis blanc/où les manchots s’amusent dès le soleil levant/ Et jouent en nous montrant/ce que c’est d’être vivant ». Il semblerait que cette chanson renferme des théories crypto-écologiques. 

3 « Les Obsèques de la lionne », dans  Fables, VIII, 14.

4 « Green », Verlaine, dans Romances sans paroles.

5 Vert dans la tradition héraldique. Ce blason ressemble fortement au logo du parti.

6 « Vivre selon la nature ». Il s’agit d’un précepte antique admis par plusieurs écoles philosophiques, en particulier les stoïciens. 

1 avril 2012

L'âne de Buridan

L’ÂNE DE BURIDAN1

 

 

A droite, une auge abondamment garnie d’avoine assaisonnée. A gauche, un modeste abreuvoir rempli d’eau claire et fraîche. L’âne attend, tergiverse. Certes il a faim, et le fumet subtil du picotin caresse délicatement ses narines de gourmet. S’il s’écoutait, assurément, il pencherait vers la droite afin de satisfaire ses appétits gloutons. Mais la soif le retient dans la chaleur humide qui paralyse l’étable. Le malheureux étouffe et sa faim le tenaille. Comme un cri de détresse, un long braiement résonne dans le long corridor de sa gorge asséchée. Il ne suffirait pourtant que d’un pas. Vers la gauche ou la droite qui l’attirent conjointement. Mais l’honorable bourriquet s’obstine dans son indécision. Il reste au centre. Ses yeux baânesculent régulièrement de l’abreuvoir à l’auge et de l’avoine à l’eau. Il flotte et il hésite ; en un mot c’est un âne2. Ses grandes oreilles l’attestent tout comme son entêtement de mule inébranlable. Alors que faire ? A l’image d’Henri IV, dont il admire l’illustre cheval blanc, notre baudet voue un culte suprême à l’idéal consensuel du juste milieu. Comme son glorieux MoDèle, qui n’eut refusé ni un bon verre de vin, ni une part généreuse de poule au pot farcie, il ambitionne parfois de rassembler la ferme autour de son panache grisâtre. Mais bien sûr c’est un âne. Et personne ne le prend sincèrement au sérieux. Sans doute, s’il était né sous de meilleurs auspices dans la peau d’un pur-sang, l’écurie tout entière aurait courbé l’échine devant sa majesté. Depuis son plus jeune âge, il admire en secret les lignes délicates et la morgue princière des hôtes logeant dans les box voisins3. Etalons de toutes sortes, chevaux baroques, anglo-arabes, et demi-sang… De quoi nourrir les rêves de notre ambitieux Cadichon4 !... Il s’imagine alors aussi vif que Pégase écrasant la chimère. Si seulement mère Nature avait prévu pour lui une autre destinée. Mais la cruelle n’en a fait qu’un animal de trait oscillant toute sa vie entre un bâton et une carotte. Un jour, il décide néanmoins de renverser le sort.

-« Impossible n’est pas mulet », hennit-il tout à coup en lançant des ruades dignes d’un Marengo5. Je nettoierai moi-même les écuries d’Augias et je relèverai aussitôt cette exploitation menacée par les erreurs de nos dirigeants. Lorsqu’une exploitation va mal, les animaux vont plus mal encore. Et notre élevage, en effet, depuis des années va mal. Je redresserai la ferme ! »6… Ayant lutté contre le bégaiement inné que l’odieuse providence lui avait infligé pour enfoncer douloureusement le clou de la frustration dans sa chaire de baudet, il s’adresse à la foule en brillant pédagogue, l’exalte et la convainc, puis séduit finalement les déçus de la ferme. Sa voix est entendue comme une alternative aux discours ressassés des anciens gouvernants. Ses troupes l’acclament solennellement comme si Jérusalem, le dimanche des Rameaux, avait salué l’âne plutôt que le messie. Un frisson de plaisir agite ses longues oreilles. La gloire n’est plus si loin. Ses appétits deviennent tout aussi insatiables que la voracité du maître inégalé de Bucéphale!... l'aneVoilà qu’il n’a plus honte de sa race. Il rougit même d’avoir douté de la grandeur des ânes. Une histoire bien connue : le bourricot qui veut se faire aussi grand que l’étalon8. Mais des talons, puisque le prince en porte !... Pourquoi donc s’en priver ? Sa vocation s’affirme. Il ne pense qu’au pouvoir. Sa cote s’étend alors dans les moindres recoins des basses cours, bergeries, écuries, porcheries… On se fie volontiers aux pieuses promesses de cet âne rassurant. Sa voix professorale nous semble si tranquille. Et comme lui on hésite, on tergiverse. En somme on cherche ailleurs que l’auge ou l’abreuvoir. Très vite, il unit derrière lui une armée de fidèles, à commencer par tous ses congénères qui le flattent à outrance. Asinus asinum fricat9, dit le proverbe. En France, les ânes sont si nombreux qu’il gagnerait sans peine en pleine démocratie… Mais ce sont des ânes, justement…

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1 Jean Buridan est un philosophe français du XIVe siècle. On lui attribue l’image théorique et paradoxale de « l’âne de Buridan », mort de faim et de soif après avoir longuement hésité entre l’eau et l’avoine simultanément mises à sa disposition.  Cette légende symbolise l’expérience de l’indécision et de la liberté d’indifférence.

2 Cet alexandrin parodie un vers célèbre de Racine. « Elle flotte, elle hésite ; en un mot elle est femme », dans Athalie, Acte III, scène 3.

3 Passionné d’Henri IV, auquel il consacra une biographie en 1994, publiée chez Flammarion, cet âne érudit et sportif, ne cache pas son admiration pour les chevaux de course dont il possède quelques beaux spécimens. Ses pronostics hippiques lui permettent, paraît-il, de récolter ponctuellement de petites sommes coquettes.

4 Nom donné par la comtesse de Ségur au personnage des Mémoires d’un âne, livre paru en 1860.

5 L’une des montures de Napoléon Ier.

6 Voire l’ouverture cicéronienne du discours de candidature.

7 Nom du cheval d’Alexandre.

8 Cf. « La Grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf », dans Fables, I. 3.

9 L’âne frotte l’âne.

1 avril 2012

La lionne du terroir

LA LIONNE DU TERROIR

 

 

Derrière les bula lionneis taillés d’un parc à la française, une lionne prête à bondir surveillait farouchement les frontières du jardin.
Laissant flotter au vent sa crinière léonine1, fauve comme les blés normands et lisse comme la soie des Cévennes (aujourd’hui délocalisée sous l’effet destructeur de la concurrence mondiale), elle attendait d’une patte ferme et terrible les possibles incursions d’animaux étrangers. L’œil profond du félin, fixant froidement la grille avec la pose gracieuse d’un Cerbère féminin, clignait de temps en temps. A peine. D’un coup sec et brutal, quoique charmant, la lionne déployait quelquefois ses griffes soigneusement affûtées pour mieux trancher la gorge d’éventuels ennemis. Fille d’un vieux chef de clan et d’une panthère connue parmi les bêtes pour ses excès de sensualité2, elle portait sur sa face les marques contrastées de ce curieux mélange. Bien sûr, cette double appartenance n’était pas écrite sur son nez. Ni sur sa truffe, ni sur sa carte !3 Mais la courbe harmonieuse de son visage, amène et souriant, jurait singulièrement avec la gravité tonitruante de ses rugissements. Outre la tâche de garde-frontière qu’elle remplissait consciencieusement, la lionne occupait depuis peu une éminente fonction. Seule héritière de son procréateur, là où la loi salique était tombée en désuétude, elle avait eu l’honneur de reprendre sa charge. Et, comme Jeanne d’Arc secourant la nation, elle était désignée po
ur libérer son peuple !... Car, depuis des décennies, un ramassis d’escrocs apatrides et pourris par l’esprit de jouissance4, se noyaient dans le vice au frais des classes moyennes. Pouvait-on continuer ? Les castors se plaignaient avec, marchant à leur côté dans les sentiers du parc, les mulots écœurés, les écureuils bafoués et les rats en colère. C’en était trop ! Vraiment… Les impôts augmentaient, pesant sur leurs épaules.

« Du sang ! », hurlait la foule. Et de fait, après le bleu du ciel et la blancheur sablonneuse des allées, il ne manquait à ce jardin français que la teinte écarlate du sang. « A mort ! » criait-on violemment en cherchant les coupables. L’irascible chasseresse, sentant s’éveiller dans sa chair le battement éternel de la faim, prit ainsi la parole : « Frères et soeurs, j’entends bien que l’heure sonne. Il est temps de lutter contre les bêtes immondes qui gouvernent la France. Nous bannirons cette vieille racaille cosmopolite. Nous écraserons d’une main ces odieux parasites qui dévorent nos fourrures ! » Cela fut dit solennellement, dans un rugissement grave auquel répondit l’acclamation unanime de l’audience. Des loups, des rats, des hyènes… Des porcs, des buses, des bouledogues français et bien d’autres molosses. Les soutiens de la lionne affluaient de toute part. Croyez-bien qu’à ces mots, les gouvernants prirent peur.

Le programme était simple. Endiguer l’afflux croissant des oiseaux migrateurs, et mettre un terme aux transhumances massives des moutons étrangers. Comme toujours, les ovins firent office de bouc émissaire ; et la lionne assura qu’on renverrait chez eux les agneaux sans papier ayant l’audace de boire dans nos fontaines. Eux, leurs bergers et leurs chiens! Car enfin,comment tolérer la présence importune, en terres de chrétienté, des moutons infidèles usurpant indûment les droits du patriote de race! Non, vraiment…

Il fut ainsi question de bâtir des remparts contre l’envahisseur. Toutefois, le gros des bataillons empruntait l’océan pour gagner les frontières. Les migrations maritimes en provenance du Sud restaient donc à résoudre. Il faudrait refouler l’affluence importune des requins, des harengs, des baleines, qui, une fois  arrivés dans nos eaux nationales, concurrençaient lâchement la main d’œuvre locale. La lionne parlait tant et si bien qu’elle eut bientôt derrière elle une légion. Et son père, vieux flibustier des premières heures, caressait d’un seul œil les exploits de sa fille. Surtout, affamé de victoire et de chair, il attendait sagement sa ration de triomphe. Car, chez les lions, ce sont les lionnes qui chassent.

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1 Les lionnes n’ayant pas de crinière, on a voulu souligner la vigueur masculine du personnage décrit.

2 Il se trouve qu’à la fin des années 80, la panthère en question posait en effet dans des postures particulièrement affriolantes pour une revue spécialisée.

3 Ce passage renvoie à des propos tenus en 2011 par le président d’un parti politique d’extrême droite qui, justifiant l’expulsion d’un homme de confession juive hors d’un gala, aurait déclaré : « [ceci] ne se voyait ni sur sa carte ni sur son nez, si j’ose dire ».

4 Le discours de la lionne semble inspiré d’une certaine rhétorique nationaliste et populiste. Le 20 juin 1940, l’appel du maréchal Pétain oppose « l’esprit de sacrifice » à « l’esprit de jouissance ».

 Cf. Fables, I, 10.

1 avril 2012

Renart bat la campagne

RENART BAT LA CAMPAGNE

 

 

 Maître Renart a déjà fait couler des rivières d’encre et des flots de passion dans les annales contemporaines. On a peint en détails les prodiges politiques de sa ruse, l'impudence légendaire de ses actes et la brutalité souvent grossière de ses mœurs. Tout cela en fait-il pour autant un démon ? On oublie trop souvent que l’animal au roux plumage a un cœur, lui aussi, qui bat à sa cadence, au rythme d’un chant langoureux. Ainsi s’expliquerait son union avec une insatiable et sensuelle féline maîtrisant aussi bien la guitare que la flûte. Il est vrai que cet étrange hymen suscita bien des jalousies parmi lrenartes courtisans. Les uns parlèrent d’un mariage de raison entre la Belle et la Bête, d’autres se vantèrent d’avoir déjà goûté la pomme. Personne ne voulut croire à la sincérité de cette idylle nouée dans un lieu bucolique entre la fée Clochette et le tendre Bambi. N’est-ce pas l’âme de l’enfant qui sommeille en chacun ? Car le méchant nain1, comme l’avaient baptisé nos ancêtres moqueurs, éprouve autant que nous les plaisirs et les peines de l’amour. Il souffre. Il pleure. Il rit. Près des flancs délicats de sa belle. Son cœur n’est pas de roc, mais d’argile lorsque, la nuit venue, il berce tendrement sa fille dans la chambre douillette d’un palais parisien. Chef contesté d’un peuple inconstant et frivole, il inaugura les premières heures de son règne tel un Fouquet déployant indécemment son amour du luxe et de l’argent facile. Célébrant sa victoire dans un lieu de ripailles et d’outrageuses bombances, il s’attira pour toujours la haine du pauvre. Exposant paresseusement sa fourrure rousse à la lueur du soleil, il séjourna aussi sur le navire d’un proche au mépris des modestes. On lui tint donc rigueur d’un style de vie sans doute issue de ces riches paysans magyars2 jouissant aux dépends de leurs serfs. L’erreur de Renart fut surtout d’avoir gouverné en s’entourant d’une clique de rapaces et de rongeurs moins rusés que dangereux. Parmi les membres de son entourage, il y eut d’abord un vautour3 haïssant les bougnats (la terminaison du terme est encore sujette à caution4). Puis une fouine à lunettes chargée de contrôler la provenance de la viande quand sonnait l’hallali !... Il y eut encore ce mulot maladroit placé à l’Industrie ou cette charmante cigogne habilement désignée pour le représenter au cœur de la campagne. C’est fort de cette équipe rôdée que la bête aux oreilles affilées entreprit de mater la disette. Devant la foule des brebis encartées, il invoqua le secours de son peuple : « Aidez-moi », glapit-il en remuant les pattes. « Aidez-moi à sauver le pays des périls à venir !»…le renard

Mais Renart a le tort de mépriser ses opposants. Parlez-lui de la gauche et des écologistes : « Ils sont trop verts, vous répond-t-il, c’est bon pour les goujats »5… Parlez-lui de ceux qui  rugissent de l’autre côté, il vous dira que  tout flatteur vit aux dépens de celui qui l’écoute. Ainsi module-t-il son discours comme le chant des sirènes, ballotant ses idées de droite à tribord toute. Jamais on ne vit jusqu’alors fromage si généreux et programme si varié. Sur l’air d’une sarabande, Renart commença sa campagne en sifflotant humblement la chanson du mal aimé… Sarcastique à ses heures, sâr6 caustique et râleur, il n’est déjà pas loin de perdre sa couronne. Les Egyptiens diraient qu’il a construit son propre sarcophage. Nous disons, nous, plus simplement, qu’il a creusé sa tombe…

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1 Surnom attribué au goupil dans le Roman de Renart.

2 Personne n’ignore, en effet, que l’intéressé est issu d’une famille aisée de Hongrie.

3 Nous reprenons cette comparaison à une campagne menée en 2011 par le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP). L’une des affiches représentait l’ancien ministre de l’intérieur sous les traits d’un vautour.

4 Cette polémique lancée en 2009 fit suite aux propos ambigus tenus par ce-dernier au sujet des Arabes ou des Auvergnats.

5 Cf. La Fontaine, Fables, III, 11.

6 « Roi » en assyrien.

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