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Zoon Politikon 2012
1 avril 2012

La revanche du limaçon

LA REVANCHE DU LIMAÇON

 

 

Sous l’éclat du tonnerre annonçant l’arrivée des pluies battantes d’automne, les bêtes, en toute hâte, s’étaient réfugiées à l’abri de l’orage. La forêt fourmillait du mouvement agité des foules. Chaque animal, craignant que la foudre insensée ne s’abatte sur les siens, cherchait éperdument un asile où loger sa famille. On courait, bondissait, détalait, cavalait. Chacun selon son rythme, ou selon sa frayeur. Des troupeaux de nuages envahissaient le ciel qui s’enflait, s’étirait, se gonflait comme une outre pleine d’eau prête à crever d’un coup. Pris soudainement d’une fièvre collective, les oiseaux s’affolèrent, volant dans tous les sens commefestina lente une escadrille en déroute. Où aller ? Comment fuir ?

Des renards s’insinuaient clandestinement dans le terrier des lièvres. Et des lapins élisaient domicile dans la hutte des castors... La tempête avançait, telle la crise monstrueuse, bouleversant les usages coutumiers du bois. Un grondement de trompettes précéda le déluge. Alors, dans ce décor d’apocalypse effrayant les plus audacieux, un limaçon, glissant sinueusement sur une brindille humide, brava courageusement le déchaînement des cieux. Il avançait, stoïque,  déversant derrière lui une longue coulée de bave comme une virtuelle trainée d’écume sur des pierreries1. Surmonté d’une modeste coquille, son ventre flasque et grassouillet semblait ramper vers un destin tranquille2. Il avançait, imperturbable... Quand tous les autres avaient fui la forêt dans l’antre des terriers, il était seul, face au chaos, à résister contre les vents mauvais. Le trône était vacant. Le roi l’avait quitté. Qui pouvait l’empêcher de s’emparer du sceptre ? Dans sa tête s’agitèrent d’anciens rêves de conquête. Il y pensait depuis longtemps comme un fantasme rare, une idée chaude et douce dont on rêve en secret pour se chauffer l’hiver. Gouverner son pays. Certains riraient peut-être, bêtement, de voir un escargot aspirer au pouvoir. Il subirait sans doute la mesquinerie jalouse de ses rivaux, les quolibets faciles sur sa taille, sa substance, sa mollesse. le limaçonEh quoi ? Fallait-il écouter la critique insensée des fats. Assurément, il fallait plaire, séduire les foules. Et ni ses sécrétions, ni les mucosités de sa chaire froide et gluante ne jouaient en sa faveur. Il entreprit alors de soigner son image. Mue formidable ! Changement de ton, de voix, de style. Il maigrit, recoiffa ses antennes, fit cirer sa coquille et se couvrit des plus charmantes parures. Enfin, il s’élança vers le triomphe. Mais la concurrence était rude. Même au sein de son camp. S’il voulait piloter la nation malgré sa légendaire lenteur, il lui fallait d’abord supprimer les  gêneurs. Il se heurta d’abord aux prétentions inopinées d’un coquelet plein d’avenir qui, las des graines importées dans un contexte de mondialisation croissante, voulait changer de régime pour picorer français. Un peu plus loin, un blaireau sympathique, et blairiste à ses heures, rêvait d’une France plus vraie, plus saine, plus sûre. Dans leurs débats soporifiques s’invitait également la voix chantante et sucrée d’une cigale proposant d’incompréhensible mesure. Mais son accent parlait pour elle. En sus de ses trois prétendants, le limaçon affrontait l’inlassable pugnacité de deux femelles tenaces. La première, une poule forte et dodue, caquetait en agitant furieusement sa crête purpurine. La seconde, une longue sauterelle autrefois acclamée, ambitionnait de porter son sexe au sommet des honneurs. Aussi fine qu’il était flasque, et sèche qu’il était mou, elle avait pour le limaçon des sentiments mêlés d’amour, de rage et de dégoût. Oui, ils s’étaient aimés. Il y a longtemps. Hors de l’orage qui planait aujourd’hui dans l’air comme une lourde menace. L’heure n’était plus à la passion. On s’envoyait des piques, des mots durs, et pourtant on s’aimait ! Mais c’était l’heure des choix3. Le limaçon n’avait de temps ni pour le badinage ni pour l’apitoiement. D’un seul revers d’antennes, il balaya les autres et devint pour son camp l’être providentiel. Prescience et lenteur d’antan, déclarait-il à ses fidèles, font mieux que force ni que rage. Il se flattait d’avoir perçu avant les autres ce que le peuple désirait et affirmait que ni l’excitation du taon, ni la morgue des lièvres ne permettaient de guider un pays. Digérant fièrement ses succès, l’audacieux gastéropode perdit peu à peu l’humilité bien connue de ses pairs ; il vit plus grand que ses antennes et sa gourmandise rejaillit malgré lui. Affamé de changement, il décida de taxer au trois quart les plus riches du royaume si bien que la dîme médiévale parût bien dérisoire à la lumière de ce nouvel impôt.

Allant toujours son train de sénateur, il fit graver sur sa coquille un sage précepte des premiers temps : Festina lente4. Le mot avait pour lui les accents et l’emphase d’une doctrine. Car c’était là tout son programme, à ce conquérant circonspect !...

 

P.S : Ainsi paré pour aller jusqu’au sacre, à Reims5 bien sûr, Tardif6 reprit la route avec son illustre prudence.

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1 Cf. Mallarmé : « [Les mots] s’allument de reflets réciproques comme une virtuelle traînée de feux sur des pierreries », in Divagation, « La crise de vers ». L’allusion poétique met en exergue l’apparition lumineuse et quasi-héroïque du limaçon.

2 Titre d’un ouvrage biographique publié chez Plon en 2001.

3 Référence à un essai paru en 1991.

4 Locution latine signifiant « Hâte-toi lentement ». Suétone attribue cette phrase à l’empereur Auguste.

5  Ce lieu est symbolique à plus d’un titre. Il fut, durant des siècles, la ville des sacres royaux. Plus récemment, il s’y déroula un mémorable congrès politique.

6 Nom donné au limaçon dans Le Roman de Renart.

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