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Zoon Politikon 2012
1 avril 2012

Le retour de l'empereur

LE RETOUR DE L’EMPEREUR

 

Eployant dans l’azur sa voilure argentée comme au travers d’un riche blason illuminé par les rais du soleil1, un aigle grisonnant, digne et superbe, paradait au-dessus des montagnes. Il volait seul. Loin des masses indistinctes de la gente animale. Il voguait dans les cieux comme un emblème antique. Majestueusement, il s’arrêtait parfois sur les cimes rocailleuses pour jeter sur le monde un œil vif et inquiet. Il avait dans la tête des projets de révolte, des idées salutaires pour préserver son peuple. L’aigle impérial, d’un vol prudent, revenait d’Elbe où il avait passé le temps de son exil. Et il s’imaginait dans de glorieuses postures, applaudi, honoré, croulant sol'aigleus la clameur de ses thuriféraires. Il se voyait déjà comme une icône biblique terrassant le serpent2. Rassemblant ses hussards, shako à huppes, en vue de conquérir les foules. Pour la première fois l’aigle levait la tête et fixait la victoire. Elle était là. Non, elle était loin, mais presque, à quelques mètres… à quelques voix… « Encore un effort, Français ! »3... criait-il à ses troupes. Car l’ennemi demeurait.

En butte aux viles attaques qu’une armée de rapaces dirigeaient contre lui, l’oiseau de Jupiter résistait à grand peine. Les amis du tyran avaient juré sa perte. On l’avait calomnié, sali, persiflé à outrance. Mais lui dédaignait noblement ces assauts de bassesse. Une nuit, des sbires avaient tenté de le noyer dans un courant limpide4, comme le disent les Anglais. Pourtant n’était-ce pas lui qui, le premier, avait voulu se frotter à l’eau clair ? Il avait survécu. L’empereur déchu, aussi léger qu’une mouette et puissant qu’un requin5, avait aussitôt décidé de lever une armée pour faire pièce aux coupables. Il invoqua les cieux, la justice et les morts ! Condamnant comme un preux les excès du pouvoir. Entre lui et le prince naquit alors une haine éternelle. Plusieurs oiseaux, timidement, s’engagèrent dans son camp. Quelques cailles, des canards, une cohorte intrépide de dindons et enfin des pintades. Il leva une légion et fut officiellement sacré empereur des basse-cours. Bien sûr, ce n’était qu’un début. Fort de ses nouvelles troupes, il osa s’insurger, hurlant comme une trompette épique contre les vrais problèmes du pays ravagé. Au palais, on commença à craindre l’ambition obstinée de cet aigle à bicorne. Le vautour le raillait, mais craignait son prestige. Alors l’aigle eut confiance et devint héroïque. Il vit plus grand que la basse-cour et rêva d’ascension. On l’entendit partout. Battre des ailes à la tribune comme un patricien de vieille souche. Il grondait comme un lion contre la corruption des larrons au pouvoir. Alors il déchaîna leurs foudres inextinguibles !... Ils redoublèrent de rage et conspirèrent encore, toujours, pour briser son élan. On l’accusait de conjurer ! Lui, l’Aquila Catilina6, aussi pur que de l’eau cristalline. Il s’indignait ainsi à la face du monde : « Ah ribauds ! Ah  salauds ! Ah complot ! L’outre est pleine, comme une onde qui boue dans une urne malsaine ! 7… Les cafards me poursuivent ». Sans cesse il agitait son auguste plumage pour s’en débarrasser.

A force de méfiance, l’aigle eut bientôt deux têtes pour scruter tous les fronts desquels on l’assaillait. Il fixait conjointement l’Occident et l’Orient comme un glorieux symbole8. Mais sa voix s’altéra. Sa bouche de gauche alléguait désormais le contraire absolu de ce qu’avaient affirmé ses lèvres de droite. Il disait tout et son contraire. Tantôt conservateur et tantôt libéral. Mi-aigle, mi-fourmi. Ambitieux et timide, courageux et craintif. Enfin l’aigle à deux têtes causa sa propre perte. Les canards n’eurent plus foi... Les pintades s’éloignèrent et les dindons firent sécession. Mais l’empereur, trop occupé de ses propres discours, volait déjà vers d’autres cieux...

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1 L’azur, l’argent et l’or du soleil font peut-être allusion aux couleurs héraldiques de la personne visée : d’azur à une fasce d’or accompagné de trois écussons d’argent.

2 Ce passage renvoie à l’iconographie chrétienne et notamment à l’aigle de Saint-Jean.

3 Citation approximative et partielle du marquis de Sade : « Français, encore un effort si vous voulez être républicain », dans La Philosophie dans le boudoir

4 Référence à une célèbre affaire politico-financière des années 2000.

5 Ces deux motifs métaphorisent l’union de la force et de la légèreté qui caractérise l’aigle. On les retrouve parfois comme symbole politique, cf. Dominique de Villepin, Le requin et la mouette, Paris, Plon, 2004.

6 Catilina, homme politique romain du Ier siècle avant JC, conspirateur connu pour ses tentatives de renversement du Sénat. Les sources nous ont principalement été léguées par Cicéron et Salluste, cf. Les Catilinaires et La Conjuration de Catilina.

7 Déformation d’un vers de V. Hugo, dans L’Expiation : « Waterloo ! Waterloo ! Waterloo ! Morne plaine… ».

8 L’aigle bicéphale est un symbole héraldique emprunté par plusieurs dynasties royales et impériales. Il ornait par ailleurs certains drapeaux romains.

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