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Zoon Politikon 2012
1 avril 2012

Le Chimpanzé en rut

« LE CHIMPANZÉ EN RUT »1

 

Les premières perles de lumières éclataient çà et là dans la pâleur de l’aube, entre l’épaisse maille des feuillages et des filets de lianes patiemment tressées par la nuit. Un long voile de rosée s’étendait sur le sol fécondé par la pluie saisonnière. Au-dessus des marais s’élevait en douceur le bruissement des sangsues et le chant nasillard des moustiques à  l’singeaffût. Cela faisait des jours que la vie endeuillée par les caprices du temps se terrait dans les ombres rocheuses et humides de la jungle. Quand le soleil, enfin, sortit de son terrier, les forêts s’éveillèrent et le monde animal eut un regain de grâce. Les lions rugirent, les oiseaux s’égayèrent. Et la vie d’autrefois reprit en quelques heures son cours habituel. Chacun retrouva peu à peu sa place. L’aigle et le serpent chassèrent. Les rongeurs prirent la fuite.

A l’ombre d’un palmier dont le tronc séculaire se frottait aux nuages, un vieux singe aux habits élégants, chaudement couvert par une fourrure d’hermine, sommeillait sur un trône de pierre grise, nacrée de mousse émeraude et surmontée par d’immenses grappes de croissants d’or. Sage comme Saint-Louis dont il admirait l’équité, mais poussé, malgré lui, par de puissants instincts qu’il ne maîtrisait pas, ce haut dignitaire de la jungle nourrissait depuis peu la fiévreuse ambition d’un lion. Il voulait la couronne. Les trésors de l’Etat. Gloire, fortune, richesse !... A ses flancs généreux se pressait d’ailleurs une immense foule de partisans issus, tout comme lui, de la race mimétique des primates. Dans les rangs élargis de ses acclamateurs, on comptait non seulement ces frères anthropoïdes, mais encore de nombreuses communautés d’animaux déçus par la politique de leur temps : d’imposants pachydermes, des koalas naïfs, des ours convaincus et surtout, nageant dans le sillage d’un opportunisme affiché, sa garde rapprochée d’alligators et de caïmans, prête à tout pour porter son champion au sommet des honneurs. Mais comme tout conquérant dont la campagne annonce déjà la victoire éclatante, notre Hannibal se heurta à Capoue2,- et il devint Tarquin3…  Le chimpanzé en Rut nbChez lui, tendance était fâcheuse de convoiter les femmes de ses compagnons d’armes. L’insatiable bonhomme avait un appétit à la mesure de ses aspirations et, peinant à refreiner l’instinct qui lui dictait ses lois, il péchait par excès de ripailles et de chair. Notre Dom Juan simiesque voguait entre le vice et la finesse passée de ses mœurs libertines. Il eût pu, de sa seule puissance, infester les femelles de ces bois d’une épidémie ravageuse. Ce n’est plus de la peste, alors, que les animaux seraient morts !...

Un jour qu’il se baignait sur la rive déserte d’un lac, survint une guenon. Quelle idée, direz-vous, de s’approcher du mâle sans vouloir ses faveurs ! Ce fut pourtant le cas. Comment pouvait-il s’en douter ? Il ne s’en douta pas et se rua si vite sur la femelle hagarde qu’elle ne put résister à cet assaut viril. Il l’empoigne d’un coup, serrant entre ses griffes, contre sa grosse bedaine velue, la proie candide et frêle de son désir… Puis, aussitôt, il la réduit d’un geste à d’humiliantes postures. Il cherche à la forcer sans aucun ménagement. Elle refuse. Il la bat et l’emmène sauvagement dans l’ombre d’une caverne. Mais la guenon s’obstine. Saisi par de brutaux spasmes libidineux, l’hominidé cupiens4 tourne et retourne son butin. Il hésite. Commence devant, finit derrière, passe hâtivement de haut en bas. Et après moult et vains essais… voilà que la guenon lui échappe de justesse !... Il ne la poursuit pas et reste là, penaud, se contentant d’un modeste exutoire solitaire. Point de mea culpa chez ce prétendant au pouvoir. Ou alors si léger !5... Car la justice des animaux, plus plaisante en cela que notre institution procédurière, ne réfrène pas encore la poésie frénétique des instincts…

 

S’il était permis de tirer de la jungle une leçon, nous dirions humblement que la guenon ne doit pas sans méfiance s’approcher du grand singe et que le peuple, lui, est une guenon docile.

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1 La métaphore est d’une journaliste récemment propulsée sur le devant de la scène médiatico-judiciaire pour ces allégations contre un ancien ministre.

2 Après de nombreux succès militaires, en 215 avant JC, Hannibal aurait pu marcher sur Rome. Il préféra s’arrêter à Capoue, une ville du Sud de l’Italie, où ses soldats s’amollirent à force de plaisirs. L’expression  s’endormir dans les délices de Capoue  est restée dans le langage commun pour désigner la recherche du plaisir aux dépends de la victoire.

3 Il s’agit de Sextus Tarquin , fils du dernier roi de Rome, Tarquin le superbe (534-509). Jaloux et tyrannique, il est surtout connu pour le viol de Lucrèce. 

4 En latin, participe présent du verbe cupio : désirer. Ici, le mot est à relier à la « concupiscence ».

5 De fait, l’intéressé a reconnu lui-même, publiquement, une « faute morale ».

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